Pic nord des cavales, massif des Ecrins, avec l’ami Jérôme, cet automne, texte de Mathias

 





J’adore dormir dans l’espace…

Camping-car minimaliste par le prix et l’équipement, mais garantie de nuits étoilées sous le fameux velum, pour deux personnes. Ce n’est pas un discours de promotion du Renault Espace, mais cette voiture m’accompagne depuis longtemps pour les approches routières. Le souvenir de l’une d’entre elles, dans les Dolomites restera gravé. Avant même de poser le pied sur la terre, de faire le premier pas sur la montagne, Oscar est là. Souvenir ému de ces 4 jours pour 4 voies magnifiques, dont la fameuse Comici aux tre cime di Lavaredo. Nous avions choisi les dolos au dernier moment, pour une fois le seul coin des Alpes où il faisait beau pendant ces vacances de Toussaint, c’était là. Fin octobre 2019, les jours étaient déjà bien courts, toutes les heures étaient consacrées à grimper, celles de nuit à relier les massifs et à récupérer. Oscar avait été magistral dans la Comici, j’en garde une photo, la photo d’un geste qui dit tout de mon garçon.

Cette fois ci, nous sommes arrivés dans l’Espace, à la Bérarde. Il est tard. Jérome m’a rejoint de Lyon dans la soirée du vendredi. Et avec l’apéro de rigueur les yeux se sont fermés à une heure qui est parfois celle du réveil, en montagne. Heureusement le projet n’est pas trop ambitieux, le temps est correct, les jours durent encore 13/14h. C’est le temps indiqué pour réaliser cette voie historique, l’arête ouest du pic nord des cavales.

Jérôme est un gaillard de mon âge, motivé comme un ado, qui découvre la haute montagne sans skis aux pieds depuis quelques années seulement. C’est sans doute pour cette raison qu’il a cette fraicheur et cette envie toute neuve. De mon côté, la forme est plus que médiocre et je vais en faire un peu les frais. C’est la montre qui en donnera la mesure.

Jérôme a connu Oscar, lors de nos semaines camping montagnes, à Ailefroide, dans le Val Ferret italien ou ici, à la Bérarde. On a partagé beaucoup de bons moments au coin du feu, le soir, chacun revenant d’une belle course ou d’une belle sieste, à observer le ciel, rendre compte et pronostiquer.

On est partis tranquillement vers 7h. Un peu trop tranquillement peut être. L’approche a quand même pris 2h30 et je l’ai trouvé interminable. Comme toutes les approches d’ailleurs, pour aller au Rouget ou aux trois dents du Pelvoux, dernièrement. A chaque fois la même histoire, zéro jus et un sac qui me semble de plus en plus lourd. Je me rassure en mettant ça sur le compte des médocs qui, actuellement, aident à vivre. On peut pas tout avoir.

La voie est magnifique, variée, de la dalle, du dièdre, du petit surplomb, de l’arête magnifiquement effilée. Un itinéraire pas très compliqué, comme souvent les courses d’arête, et avec pas mal de pitons. Mais il joue avec les recoins et présente quelques pièges. Il faut penser à « regarder derrière », à virer de bord et tourner à angle droit en pleine longueur. Au total une très très belle course dont on ne parle pas assez. Elle mériterait sa place aux côtés de la traversée de Sialouze, par exemple, dans ce niveau de difficulté. C’est une escalade jamais très difficile mais qui demande de l’attention. On ne court pas dans les longueurs de 4. Pour moi le temps semble lointain des courses en cavalant et en corde tendue. Bref, on n’a pas cavalé dans les cavales, ahah… C’est très étrange de connaître, au-delà du travail normal du vieillissement, des différences de niveau et de forme tels que l’on ne se reconnaît pas  bien ; ça peut même être dangereux, d’être plusieurs dans une seule carcasse.



Jérôme se débrouille vraiment bien, il y va avec courage, il prend de l’élan. Et ça aurait pu lui coûter cher. Dans le 1er ressaut, une longueur compliquée, avec un passage raid, une adhérence délicate, Jérôme a zippé sans prévenir et s’est pris un beau râteau, retenu par un piton… qui a tenu. La bonne idée. Pourtant c’était du 4. Mais bien tordu, bien sioux. Il a été impressionné, a réattaqué tout de suite, mais un peu perdu ses yeux. Avant d’en finir avec ce vague dièdre, après une 15aine de mètres, il faut bien tirer à droite pour rejoindre une dalle sous un petit surplomb. Il est parti plus haut et il n’était pas le 1er puisqu’il est allé butter sur un piton. Moment très délicat où il a fallu désescalader sans trop d’assurance, pour pas perdre trop de temps. Au dessus, ça passait, un autre piton indiquait le chemin. Mais ce n’était pas la voie, le passage était plus difficile qu’un 5+. Pas extrème, un fort grimpeur ne s’en serait peut être pas rendu compte. Mais nous, on était dans notre niveau de maintenant et il n’y avait pas trop de marge. Une fois, c’est formateur, deux, on s’en passe.

Après le 1er ressaut, une arête très étroite, très belle, qui se couche pour devenir presque horizontale.

Puis vient le second ressaut avec 2 longueurs magnifiques pour de l’escalade en 4+. Un dièdre comme posé là pour être emprunté, un tobogan à remonter à l’issu duquel, à nouveau, il faut bien bifurquer à droite. Après ça grimpe de plus en plus plat, et hop, le sommet est là. Malgré notre petite galère on est resté  dans la fourchette horaire… mais c’était sans compter avec la descente.

Je croyais qu’on était rentré. La descente doit être examinée autant que la montée. Je réalise que j’étais parti la fleur au fusil pour deux raisons : primo, j’ai fait plusieurs voies modernes dans la face sud, qui ne m’avaient laissé aucun souvenir d’éventuelles difficultés à la descente (normal, c’était des rappels…), secundo, et c’est plus embêtant, je m’étais mis dans la tête que redescendre allait être une formalité, sans chercher davantage. Je me trompais lourdement, d’autant plus que nous ne primes ni crampons ni piolet… ce genre d’engin ne sert pas que dans le blanc. Qu’on se le dise, les crampons sont quasi indispensables pour redescendre le col nord des cavales à cette saison.

D’abord, non négligeables, effectivement considérées comme une formalité dans les topos, plusieurs sections de désescalade nécessitent prudence et prennent du temps. Je pense que les topos, qui considèrent cette partie comme une simple formalité rapidement expédiée, devrait être complétés d’une mention à ce sujet.  Jérôme était moins à l’aise dans ce genre de terrain ou l’assurage est souvent très précaire. C’était une formation sur le tas dont il s’est tiré haut la main.

Mais si on y ajoute que ce jour-là la corde avait décidé de faire tous les plats de nœuds les plus inextricables, on a mis bien plus d’une heure pour sortir de l’arête sud.

Arrive alors le petit imprévu qui frappe les imprudents, alors que le jour commence à baisser. Après 16h il semble que le temps se soit accéléré, comme souvent dans ce genre de plan. Bizarre, le temps.

On commençait à en avoir marre et on était convaincus que cette fois ci, c’était réglé. Le col nord était loin (ou il nous a paru loin, c’est la même chose). La neige, le terrain instable, la fatigue… que sais-je ? en attendant, là aussi les minutes ont défilé.

Enfin, le clou de l’affaire : ce débonnaire col du clot des cavales, dans les pires conditions de terrain pourri qu’on puisse imaginer. Sol gelé, compact mais qui s’effrite, zones de rocher complétement instables. Hautement non recommandable, surtout en baskets (Cette fois Jérôme est décidé à abandonner les chaussures de trail en haute montagne). Rien pour creuser des marches, s’agripper dans ce terrain pourri gelé. On y a passé une éternité, en équilibre instable sur tous nos appuis, avec la sensation d’avoir muté en un insecte rampant. Une chute n’aurait sans doute pas été mortelle, mais elle nous aurait bien abîmés.

En fait cette fin de sortie, c’est le genre d’histoire qu’on ne raconte pas, au risque de passer pour une cordée mal câblée : Il y a une ligne de rappel pour descendre en versant sud-ouest ; on n’a pas été foutus de lire correctement les informations disponibles.

Pourquoi ? je suis le plus expérimenté, la faute est pour moi. Mais au-delà, Jérôme n’est pas du genre à se laisser guider les yeux fermés. Non, nous avons curieusement lu ce que nous voulions lire entre les lignes.

Je me dis que s’informer le moins possible est une posture qui permet de vivre beaucoup d’aventures, en direct. Je sais que c’est ma manière de fonctionner. Mais là, on a fait fort. Heureusement les difficultés n’étaient pas énormes. Je me dis aussi que jouer avec ce paramètre est finalement un peu ridicule. Les incertitudes sont considérables dans une longue course en montagne. Négliger les éléments qui permettent de réduire l’incertitude, c’est pas malin. Et pourtant c’est ce que j’ai toujours fait : positionner le curseur plutôt du côté de l’inconnu, limiter la marge, consciemment ou pas.

Je repense à Oscar, à la cordée Oscargo. Je les ai vaccinés de cette option cavalière, avec des journées qui voyaient s’empiler les imprévus. Des journées inoubliables, cent fois plus qu’un truc plus dur, mais trop millimétré, tellement répété en pensée que sa réalisation devient presque une répétition. Eux, pour leurs perfs, étaient sur un braquet résolument différent du mien. Eux, préparaient au poil, le matos, la nourriture, l’eau, les infos, l’entrainement, les courses de préparation.  Toutes les aventures en montagne se situent quelque part entre ces deux attitudes… Et moi qui suis décidément plus près de la découverte et de l’impro, j’ai pris une bonne leçon, pendant cette journée au Pic Nord des Cavales.

Mais c’était bien cet Oisans sauvage, sans personne, sans réseau, certes dans du 4/5, mais loin des lignes de spits. Dans un environnement où il faut garder cette vigilance, cette concentration globale que seul exige l’alpinisme dit « traditionnel », ou « historique », avec un poil de condescendance. 

Je crois en fait que c’est l’alpinisme tout court. Là où son cœur bas le plus fort, en tous cas.

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