La Colère du Ciel, cascade D+, 280m, avec Sylvain, mon frère

 Mathias reprend la plume avec le récit d'une belle expérience en cascade de glace, discipline éphémère, que la pesanteur du harnachement et la rudesse des conditions de pratique peuvent rendre bien rébarbative...Peut-être Mathias a-t-il trouvé ici un moyen de la sublimer, via "la corde tendue", qu'il affectionne tant. En tout cas, ce fut une "première fois"...




La Colère du ciel est une cascade longue d’initiation, avec deux ressauts plus raides. Peut-être que les conditions plus sèches des dernières années ont tendance à redresser le profil. Les cotations sont toujours difficiles à établir, mais lorsque la glace devient vraiment raide et qu’il faut éventuellement brocher à une main, on peut considérer qu’on est dans le 4, qu’on a quitté le domaine paisible du 3 qui permet de grimper presque exclusivement sur les crampons. Mais peu importe ici. L’objectif n’était pas difficile. Il faisait froid, on était un peu pressé après avoir tergiversé pour savoir si on bouclait Caturgeas, une autre cascade bien plus longue.

On s’est donc installés en corde tendue à 30m et on a tout remonté sur un bon rythme, en 2 fois. Nous étions tout en haut, finissant par grimper dans de la mousse gelée, 1h30 plus tard. Ça a été court mais très bon, exactement le genre de réalisation que j’aime. Juste un petit accrochage avec le guide de l’étape, affublé de deux clients en flèche, qui, me voyant tranquillement passer à quelques mètres de son gagne-pain (la cascade est toujours très large et permet, sans gêner, de dépasser), me dit sur un ton surréaliste « tu ne passes pas devant mes clients ». Je lui demande posément s’il est propriétaire des lieux, ou au moins d’une partie. Il maugrée. Fin de l’histoire. Cette profession de « seigneur » comme disent certains, induit quand même de drôles de comportements. Il faut faire profil bas devant les seigneurs, ouais, c’est ça…

Revenons à nos moutons : la corde tendue : Une esthétique de la vitesse et du mouvement permanent que permet ce type de progression. Elle suppose aussi une grande intimité dans la cordée, le lien de la corde devient vivant, donne des informations qu’il faut entendre vite, pour s’adapter, suivre son partenaire. Paradoxalement, en corde tendue nous en arrivons à considérer que le plus à l’aise doit passer en second. C’est le premier qui donne le tempo, qui choisit d’arrêter, considérant le passage trop difficile pour décider de passer en assurage classique, en assurage « vraiment sûr ». En plus, dans la progression, le 1er équipe et  gère son exposition. Correctement suivi, s’il chute, ce ne sera pas pire qu’en configuration classique. Au contraire, si c’est le second qui tombe, il n’est pas certain que le 1er, en progression, puisse retenir le second, et sa chute peut être très mauvaise. Ici le danger de ce type de progression apparaît clairement. Bilan des courses, c’est au moins fort d’aller devant. C’est un autre intérêt de la corde tendue, d’après moi. Mais en réalité, une fois tous les points d’assurage disponibles posés, si la cordée est bien équilibrée, le second passe en tête. Grimpe en réversible, mais sur une échelle différente. Tout ça semble bien technique, mais il y a toute une philosophie de la progression en montagne encordée qui vient se loger ici.

Et avec Sylvain, nous sommes tellement différents. Les cordées de frères, c’est toujours spécial. Celle que je forme avec Sylvain aurait pu être excellente, car nous sommes parfaitement complémentaires, sur un bon niveau de base. Lui les bras, moi les jambes ; lui le court, moi le long ; lui plus prudent, moi moins ; verre à moitié plein, ou à moitié vide, abstraction vs expérimentation, sciences « dures » et « molles », cheveux courts/cheveux long, etc. Je vais pas dévoiler les secrets de famille mais il y a quelque chose autour du tous pareils/tous différents. Et ça me fait gamberger, apparemment... Et je pense à tous ceux qui pensent, qui ont pensé, forcément : Oscar, tu lui as bien expliqué la prudence, ou alors c’était la surexposition permanente ? on ne maîtrise pas grand-chose, mais enfin, en l’espèce, la réalité a parlé, elle m’a rattrapé par un angle tellement énorme. J’ai survécu à plusieurs chutes qui auraient dû être mortelles. Lui pas. Il était si jeune. Il a brulé des étapes, pour que nous nous rattrapions le plus vite possible. J’en suis la cause 1ère, c’est l’évidence. C’est une histoire brève, mais puissante, qui se finit dans la mort.

Avec Sylvain, la différence nous conduit souvent à des perceptions assez radicalement… différentes. Ça nous a pas mal limité, malgré quelques belles réalisations, jusqu’au bout du monde. Un temps, j’ai renoncé à cette cordée, un peu fatigué et, surtout, lorsque j’ai compris que quelque chose de plus fort se formait entre mes propres fils. Avec Sylvain, nous avons 4 ans d’écart. Hugo et Oscar avaient  5 ans d’écart. Et ils ont été bien plus tôt équipés, préparés, formés. Et ils n’étaient pas embarrassés par une éducation qui fait parfois la bêtise de promouvoir comparaison, concurrence larvée et donc défiance, traces de jalousie, des trucs pas sains du tout s’installer. Car certains pères, au lieu de créer une « équipe » avec leur progéniture, installent la hiérarchie. C’est délétère, c’est dommage, c’est con.

Aujourd’hui la cordée Oscargo n’est plus. Pour nous, les ainés, il est trop tard, c’est clair, la pente descend doucement, irrémédiablement, maintenant. Mais doucement, encore, et il y a de beaux restes. C’est ce que je me dis en secret (fin du secret). Et ce jour, dans cette cascade facile, Sylvain a joué le jeu. Nous avons mis de l’eau dans notre vin. On est plus calmes, sereins ; moi je suis décidé. Et on a galopé comme jamais en cascade de glace. En réalité on n’avait jamais fait de corde tendue dans ce genre de terrain. Et ça s’est très bien passé. Ensuite, les débats, toujours, sur l’intérêt dans tel ou tel niveau d’un supplément de sécurité ou des conditions d’un « réel » gain de temps… j’épargne les détails. Les choses changent. Bien tard, trop tard, mais l’envie est là, pour cette vie à tourner autour de cet objet, la montagne ; pour Oscar qui l’avait embrassé à la fusion.

En tous cas, une fois écartés les écueils, une cordée de frères est quelque chose d’exceptionnel pour le niveau de complicité qu’elle génère. Souvent pas besoin de parler, ou très peu ; et surtout on sent l’autre, ses gestes, un peu comme si c’était soit. Quand on ajoute qu’on a presque exactement la même taille, les mêmes pieds (mais 6 ou 7 kg d’écart…), il y a comme une gémellité, et elle s’exprime magistralement dans l’expérience de la progression en corde tendue. Et, c’est vrai, Hugo et Oscar font exactement, tous les deux, 183.5 cm, eux aussi. Nous sommes 4, en fait (avec une mensuration parfaite, d’après Le Corbu 😊).

L’un d’entre nous est tombé. Oscar était mon miracle, un au-delà d’alter ego. Pour l’instant, je n’ai qu’une envie : continuer, avec lui qui plane par là.

Enfin, ce jour-là, dans « la colère du ciel », on est allés assez vite pour pas se cailler, et ça, en cascade de glace, c’est bonnard.

 

 


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