Mon texte

 

Oscar, la première fois que je l’ai vu, c’était une petite tête blonde qui jouait au ballon avec son frère, sur le petit pont du camping du Buet, à Vallorcine.

Quelques jours plus tard, il gravirait, sur ses petites jambes d’enfant de 6 ans, avec son père et son frère, l’Aiguille de l’M, au-dessus de Chamonix. 2000m de dénivelé car il y avait la queue au téléphérique, des sentiers raides, des remontées de pierriers et de moraines, quelques pas d’escalade. Le tout en 4h07. Son 1er « temps » en montagne, sa 1ère ascension exceptionnelle, 1ère d’une longue série : le Mont-Blanc à 11 ans avec son père, la Traversée Grépon-Mer de Glace à la journée à 14 ans avec son père et Hugo, puis vient le temps des réalisations seul avec son frère Hugo : Mitchka, la voie la plus dure de la Meije au départ de la Bérarde, à 15 ans, l’Intégrale de Peuterey à 16 ans, quelques belles pentes raides à skis ces derniers temps...

Oscar c’est ce petit enfant de 6 ans, si mignon, qui me frappe d’emblée par son énergie vitale, sa présence au monde, sa confiance en lui, et par cette relation si spéciale, si forte, que, déjà, il a tissé avec son père. Dans ces premiers moments, pour moi, Oscar, c’est l’énergie, même, la vie dans son aspect brut, si fort, et quasi-animal : il court, il saute, il joue, il grimpe, il s’épuise, il se repose, il a faim, il mange, il chantonne en mangeant ce qu’il aime...Il vit et il jouit de la vie, à chaque instant. Et cette impression me restera, même quand il aura grandi.

Mais ce qui pour moi fut vraiment émouvant dès mes premières rencontres avec Oscar, c’est que, non, Oscar fut bien plus, bien au-delà de cette simple sensation d’énergie. Il pensait, questionnait, ressentait, réfléchissait sur le monde en faisant preuve d’une acuité peu commune. Le petit garçon, et plus tard l’adolescent, qui avait parfois du mal à tenir en place, pouvait se muer en un être d’une finesse et d’une douceur stupéfiantes devant un animal, un bébé. Oscar avait ces deux facettes, qui, m’ont toujours énormément troublée et émue : l’énergie invincible, incommensurable, qui suppose parfois une certaine violence, une certaine brutalité, et un versant si sensible, si touchant, si affectueux. Des moments me reviennent de câlins avec son père, son frère, d’une grande simplicité, et en même temps d’une grande force.

Energie, force, sensibilité, réflexion, calme, sérénité, Oscar avait tout cela, et il faut tout cela pour aller en montagne comme il y allait. Avec tellement de confiance, d’assurance, de bonheur, d’élan mais aussi de calme et de réflexion.  Il savait les moments où il fallait s’engager, prendre des risques en conscience pour franchir un passage, réussir à avancer, les moments où il fallait s’arrêter, reprendre des forces, il savait lire la montagne, lire la carte qui représentait la montagne, il savait quand il se mettait en danger et quand il était en sécurité. La montagne l’habitait et faisait partie de lui. Je crois que j’en ai pris conscience brutalement quand il a commencé à « passer en tête », à devenir le premier de cordée. Là, j’ai compris à quel point Oscar était au-delà, au-delà des autres, au-delà de son père.

Son père qui l’avait façonné, formé, pour devenir si fort et le dépasser. Sur ce substrat si prometteur et fertile, Mathias est venu apposer sa passion, sa vision de la montagne et de tout ce qu’elle pouvait apporter. Une alchimie très subtile s’est mise en place. Le père, parfois mis à mal par la vie, y retrouvait goût en emmenant ses fils en montagne, en transmettant ce qui, lui aussi, l’avait façonné. La montagne a cela de bon, elle épure, elle ramène à l’essentiel et catalyse comme rien d’autre ne le peut, des énergies cachées, des potentialités enfouies. Avec Oscar, l’alchimie avait atteint la sublimation.

Mais cette alchimie n’existait pas seulement en montagne, dans tous les moments qu’ils passaient ensemble, elle se ressentait. Chaque geste d’Oscar était comme accompagné, soutenu, encouragé par le regard, de son père. Ce regard qui a su faire de lui ce qu’il a été, nous en avons déjà parlé à maintes reprises tous les deux, le « geste juste », la perfection dans le geste, que ce soit pour lancer une balle, jouer aux fléchettes, faire griller des chamallows, ou ancrer ses piolets. Rendre hommage à Oscar, c’est rendre hommage à cette qualité dans le geste, cette relation aux choses, que peu de gens possèdent. Parvenir à éprouver suffisamment d’assurance et de confiance en soi, pour pouvoir effectuer le geste qu’il faut, exactement comme il faut, au moment où il faut, sans arrière-pensée. Savoir se lancer. En montagne, cela s’appelle savoir s’engager.

En octobre 2019, Mathias et Oscar sont partis tous les deux grimper dans les Dolomites. Je n’étais pas avec eux mais je crois que ce voyage fut un moment fondateur de la légende qu’ils étaient en train de construire, peut-être à leur insu. C’était une des premières fois où Mathias, affaibli par une épaule défaillante, a entièrement cédé la tête de cordée à Oscar. Pour la 1ère fois c’était lui le chef, dans la fameuse voie Comici à la Cima Grande di Lavaredo. Ce n’était qu’un sms, mais je me souviendrais toujours de celui que Mathias m’a envoyé à l’issue de cette ascension. En quelques mots, j’ai perçu toute la tension, et en même temps tout le bonheur, l’immense sensation d’accomplissement, de défi, de réussite, qui s’étaient joués là. Passer devant et lui permettre cette ascension, Oscar ne pouvait pas avoir de plus belle manière pour témoigner sa reconnaissance et son amour pour son père.

 

Maintenant, Oscar n’est plus, son cœur s’est arrêté dans la montagne, là où il se sentait si bien. Il reste, et il restera en toi, Mathias, la vibration immortelle de cet amour que vous vous êtes portés.

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